Le Palais de cailloux du Facteur Cheval 23 juillet
Il était un facteur. Il était un facteur qui aimait les cailloux. Il était un facteur qui, au fil de ses tournées journalières de 34 kilomètres (!!!) dans la Drôme, ramassait les pierres et les glissait dans ses poches. Il était un facteur qui, au grès de ses rêves de voyages (certainement nourris par l’expansion de la carte postale, née en France en 1873, pleine époque coloniale), se mit en tête de construire un « Palais Idéal ». Il était un drôle de facteur : le Facteur Cheval….
«J’avais dépassé depuis trois ans ce grand équinoxe de la vie qu’on appelle quarantaine. Cet âge n’est plus celui des folles entreprises et des châteaux en Espagne. Or, un jour du mois d’avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural […] mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin [...] Je fus très surpris de voir que j’avais fait sortir de terre une espèce de pierre à la forme si bizarre, à la fois si pittoresque que je regardais autour de moi. Je vis qu’elle n’était pas seule. Je la pris [...] et je l’apportais soigneusement avec moi. A partir de ce moment, je n’eus plus de repos matin et soir. Je partais en chercher; quelquefois je faisais 5 à 6 kilomètres et quand ma charge était faite je la portais sur mon dos...
Les pierres ramenées à Hauterives dans des paniers , voire dans une brouette, «sa fidèle compagne de peine», sont assemblées avec de la chaux, du mortier et du ciment. Le facteur entame ainsi, travaillant parfois la nuit à la lueur d’une simple lampe à huile, l’accomplissement de son gigantesque projet, sous les yeux ébahis des gens du cru….
| …Je commençais à creuser un bassin dans lequel je me mis à sculpter [...] toute espèce d’animaux. Ensuite avec mes pierres je commençais une cascade. Je mis deux années pour la construire..……….Je commençais une grotte et une seconde cascade de manière que ma grotte se trouve entre les deux [...] Je mis encore 3 ans pour l’achever... |
Ce seront la Source de Vie (1879-1881) et la Source de la Sagesse (1881-1884)
| …Je me mis à creuser la terre et dans la terre j’ai formé une espèce de rocher et dans ce rocher des cercueils [...] Sur ce rocher souterrain j’ai élevé le monument dont la largeur a douze pieds et la longueur 15. Le monument est supporté par 8 murailles dont la forme des pierres est des plus pittoresques…….La grotte où il y a 3 géants (César, Vercingétorix et Archimède) c’est un peu de l’égyptien, en dessous on voit 2 momies que j’ai façonnées et sculptées. Ces 3 géants supportent la Tour de Barbarie où dans un oasis croissent les figuiers, les cactus, des palmiers, des aloès, des oliviers gardés par la loutre et le guépard. À la source de la vie j’ai puisé mon génie… |
| Le facteur crée à partir de visions. Celles-ci inspirent à Cheval un univers que son éducation modeste est loin de lui avoir légué, comme investi d’une mission divine : plantes, animaux, architectures de l’antiquité, monuments et palais célèbres, scènes bibliques… Son Temple de la Nature, élevé au nom de sa foi en lui-même et en l’homme, sera rebaptisé Palais idéal en 1904 par le Barde Emile Roux Parassac, avec son poème : »Ton idéal, ton Palais« . |
| …J’ai commencé ce travail gigantesque à l’âge de 43 ans [...] Longueur totale du monument. Elle est de 23 mètres, sa largeur à certains endroits est de 12 mètres, la hauteur varie aussi de 6, 9 à 11 mètres, la forme entière de ce travail qui n’est qu’un seul bloc de rocaille qui a environ 600 mètres cube de pierres dans son ensemble. Le tout a été construit par la main d’un seul homme.
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Ainsi, des maximes chantant les louanges du labeur et de la simplicité seront gravées par le facteur sur les différentes façades, montrant que, tout modeste qu’il soit, tout idiot qu’on prétend qu’il est, a drôlement conscience de son oeuvre :
« A cœur vaillant rien d’impossible »
« Au champ du labeur j’attends mon vainqueur »
« Tout ce que tu vois, passant, est l’œuvre d’un paysan. D’un songe, j’ai sorti la Reine du monde »
«Heureux l’homme libre, brave et travailleur.»
«Dieu, dont les desseins sont impénétrables, Se sert de ses humbles créatures pour les accomplir.»
«Sur cette terre, comme l’ombre nous passons. Sortis de la poussière, nous y retournerons.»
Ainsi, le Facteur souhaitait que le public ait accès à son art, comme le signale celle gravée à l’angle de la façade nord-est du Palais : « Défense de rien toucher »…
Ferdinand Cheval aurait aimé y être enterré avec les siens (deux épouses et trois enfants), mais la loi française de l’époque l’interdisant, il arrêtera la construction du Palais pour se consacrer durant huit ans à bâtir à mains d’homme le lit de son repos éternel, le Tombeau du Silence et du Repos sans Fin, au cimetière d’Hauterives. Il y fut inhumé à l’age de 88 ans, le 19 août 1924, soit deux ans seulement après l’achèvement de son oeuvre.
Ferdinand fut le premier « artiste prolétaire » de l’art 
européen. Sans formation particulière, il fit et fait encore nombre d’émules et d’admirateurs, depuis les surréalistes (années 1920) jusqu’à des artistes plus contemporains. Chacun rendra hommage au bâtisseur de rêves à sa manière, s’y réfèrant explicitement ou en en portant l’empreinte. Ainsi, André Breton lui dédiera un poème ; Max Ernst, un collage ; Picasso, des croquis (voir l’illustration ci-contre); Doisneau des photos… mais il inspirera aussi des cinéastes, des musiciens et des écrivains (même Michel Fugain !!!).
Considérant le Palais idéal comme « le seul représentant en architecture de l’Art Naïf », André Malraux appuiera la procédure de classement du Palais idéal au titre des monuments historiques. Il le sera le 23 septembre 1969, grâce à Edmond Michelet. Aujourd’hui propriété de la ville de Hauterives depuis 1994, il attire chaque année plus de 100 000 visiteurs…(site officiel)
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